Le spectateur de sa vie
Il était confortablement installé dans le cours de ses pensées, lorsque soudain, il réalisa que sa vie se déroulait sans lui.
Jamais il n’avait pris une seule décision. Déstabilisé par cette vérité qui résonnait dans sa tête, il essaya de se concentrer sur la prochaine étape de sa vie : son mariage.
Mais là, une petite voix au fond de lui-même lui dit que ce n’était pas lui qui avait proposé cette union, ni même lui qui en avait choisi l’élue.
Irrité par cette constatation plus que vraie, il réfléchit à son travail. Son père l’avait formé et projeté dans le bureau de poste où lui-même y travaillait depuis plus de vingt-cinq ans comme facteur. Sa fierté avait été d’introduire son fils dans les bureaux.
Condamné à trier du courrier du matin au soir, il ne s’était jamais posé la question de savoir, depuis cinq ans qu’il faisait les mêmes gestes quotidiennement, si cela lui plaisait.
Pourquoi y penser aujourd’hui ?
Il s’était toujours laissé entraîner par les courants que les autres prenaient pour lui dans sa vie. Il ne connaissait pas le sens des mots choix ou choisir, décider ou organiser, questions et réponses.
Sa femme, ou plutôt sa future femme, lui avait mis le grappin dessus un an auparavant et ne l’avait plus lâché. Trois mois plus tard ils vivaient ensemble dans un environnement douillet et luxueux, le tout choisi par elle avec l’argent que son beau-père avait fait mettre à la banque par son fils « pour son avenir » disait-il. Six mois plus tard, elle avait décidé qu’ils se marieraient au mois d’août, le 12.
Aujourd’hui, nous étions le 29 juillet. Dans deux semaines, ils seront à l’église.
Il fut interrompu dans sa méditation par l’arrivée bruyante de sa fiancée.
Elle lui demanda : « A quoi penses-tu ? »
« A rien » répondit-il.
Et pour la première fois de sa vie, il avait fait un choix.
Celui de mentir. Il se sentit heureux !
Christie Jane (Juillet 1994)